La justice italienne doit rendre mardi son verdict après le naufrage d'un chalutier dans lequel plus de 800 migrants ont trouvé la mort en avril 2015, une tragédie qui avait mobilisé la communauté internationale au large de la Libye.
Deux survivants, le Tunisien Mohammed Ali Malek, 28 ans, et le Syrien Mahmoud Bikhit, 26 ans, comparaissent devant le tribunal de Catane (Sicile): ils sont accusés d'avoir été le capitaine et le second du chalutier.Le parquet a requis 18 ans de prison et 3 millions d'euros de dommages contre le premier et six ans de prison pour le second.
Tous deux affirment cependant n'avoir été que des migrants parmi les autres. Il y a "passeur et passeur. La plupart du temps ce sont des migrants désignés sur le moment. On leur donne un téléphone satellitaire, une boussole et on leur interdit sous peine de mort de faire demi-tour", avait expliqué à l'AFP l'avocat de M. Malek, Me Massimo Ferrante.
Selon les autres survivants, M. Malek était à la barre lorsque le bateau bleu de moins de 30 mètres, parti de Libye le 18 avril 2015 au matin, avait chaviré et coulé dans la nuit suivante, sous les yeux horrifiés de l'équipage du "King Jacob", un cargo portugais envoyé à son secours. Selon le parquet, les manoeuvres erratiques de M. Malek ont fortement contribué au chavirage du bateau, qui a semble-t-il percuté le "King Jacob" à plusieurs reprises.
Me Ferrante a plusieurs fois réclamé que les manoeuvres du cargo portugais soient également examinées, mais le parquet de Catane a rapidement exonéré son équipage de toute responsabilité.
Il n'y a eu que 28 survivants, dont les récits glaçants ont provoqué une vague d'indignation et poussé l'Union européenne à renforcer de manière significative sa présence au large de la Libye, quelques mois après avoir obligé l'Italie à suspendre sa vaste opération de secours Mare Nostrum.
A la suite d'une promesse du chef du gouvernement de l'époque, Matteo Renzi, la marine italienne a renfloué fin juin l'épave, qui gisait à environ 370 mètres de profondeur, afin d'offrir une sépulture digne aux victimes. Cette opération a aussi permis un macabre décompte. Outre 24 victimes inhumées à Malte, la marine italienne a récupéré 219 corps dans et autour de l'épave.
Et les équipes de médecins-légistes, qui ont examiné pendant plus de trois mois le contenu de ces sacs, sont formels: beaucoup comprenaient les restes de plusieurs personnes. Le total atteint désormais 800 à 900 morts, mais l'analyse des échantillons pour avoir un décompte précis prendra encore un an.
En annonçant ces chiffres en octobre, Vittorio Piscitelli, commissaire extraordinaire pour les personnes disparues, s'était indigné: "Comment a-t-il été possible de mettre jusqu'à 900 personnes là-dedans ! Ils ne pouvaient pas arriver vivants".
Des documents retrouvés dans les poches des morts montrent qu'ils venaient du Soudan, de Somalie, du Mali, de Gambie, d'Ethiopie, du Sénégal, de Côte d'Ivoire, d'Erythrée, de Guinée Bissau et du Bangladesh. Signe du déchirement que représentent ces migrations, l'un d'entre eux avait avec lui un petit sachet contenant de la terre de son pays.
Les corps sont désormais enterrés dans des cimetières de Sicile, après un relevé minutieux de tous les éléments pouvant aider à leur identification: échantillons ADN, documents, vêtements, tatouages, cicatrices...
Les autorités italiennes cherchent désormais à retrouver les familles. Des contacts sont pris avec la Croix Rouge internationale et avec les ambassades d'Italie dans les pays d'origine et les pays européens où pourraient se trouver des proches.
Le drame n'a cependant pas dissuadé les passeurs en Libye, qui ont continué à envoyer des bateaux similaires chargés de centaines de personnes, parfois plus d'un millier.
© 2016 AFP